Désindustrialisation : définition, causes et enjeux contemporains

Vous avez peut-être assisté à la fermeture de l’usine de votre ville, observé la transformation de zones industrielles en friches urbaines ou constaté la disparition progressive des commerces dans certains quartiers ouvriers. Ces phénomènes illustrent concrètement ce que nous appelons la désindustrialisation, un processus qui redessine profondément nos territoires depuis plusieurs décennies. Cette mutation économique majeure soulève des questions fondamentales sur l’avenir de notre tissu productif, l’emploi et l’aménagement du territoire. Comprendre ses mécanismes devient indispensable pour appréhender les transformations actuelles de notre société.

Qu’est-ce que la désindustrialisation ?

La désindustrialisation désigne le recul de la place relative occupée par l’activité industrielle dans l’économie et la société. Ce phénomène peut se manifester par la destruction d’emplois industriels ou par la diminution de l’activité manufacturière dans la production nationale. Nous observons ainsi le passage de l’âge industriel, caractérisé par la prépondérance des activités manufacturières, vers l’âge post-industriel où les services dominent.

Cette transformation s’accompagne d’une tertiarisation de l’économie, processus par lequel les activités de services prennent progressivement le pas sur la production industrielle. La désindustrialisation ne signifie pas nécessairement une disparition totale de l’industrie, mais plutôt une réorganisation de l’économie où la production manufacturière perd son rôle central. Cette évolution résulte notamment de l’ouverture des échanges mondiaux qui intensifie la concurrence entre pays industrialisés et nations émergentes.

Les principales causes du phénomène

Plusieurs facteurs expliquent cette transformation structurelle de nos économies. La mondialisation constitue le premier moteur de ce processus, en facilitant les délocalisations vers des pays où les coûts salariaux restent plus faibles. Les entreprises recherchent une compétitivité-coût qui les pousse à délocaliser leurs activités de production vers des territoires offrant des conditions économiques plus avantageuses.

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L’automatisation et les gains de productivité contribuent simultanément à cette évolution. Les innovations technologiques permettent de produire davantage avec moins de main-d’œuvre, réduisant mécaniquement les besoins en emplois industriels. L’externalisation de fonctions périphériques comme les ressources humaines, la recherche et développement ou la logistique accentue cette tendance en fragmentant les chaînes de valeur.

Plus récemment, la flambée des prix de l’énergie a fragilisé les industries européennes. En 2022, la facture énergétique a doublé par rapport aux années précédentes, affectant particulièrement les secteurs énergivores. Cette crise énergétique s’ajoute à une concurrence internationale déloyale, notamment face aux subventions massives pratiquées par certains États concurrents.

L’ampleur de la désindustrialisation en France

Les chiffres révèlent l’ampleur du phénomène dans notre pays. En 1970, l’industrie représentait 20% de la richesse nationale française. En 2022, cette part a chuté à seulement 9,5% selon l’INSEE. Cette érosion place la France dans une position préoccupante au niveau européen, où elle occupe désormais le 22ème rang sur 27 pays concernant la part des emplois industriels.

Entre 2009 et 2017, nous avons recensé 600 fermetures d’usines, illustrant la brutalité de cette transformation. Bien que 120 000 emplois industriels aient été créés depuis 2017 avec l’ouverture de 314 nouvelles usines, cette dynamique positive ne compense pas entièrement les pertes antérieures. La tendance récente montre un essoufflement avec seulement une trentaine de nouvelles usines depuis début 2023.

Indicateur19702022Évolution
Part de l’industrie dans le PIB20%9,5%-10,5 points
Classement européen (emplois industriels)22ème/27Position défavorable
Fermetures d’usines (2009-2017)600Solde négatif

Impact sur les territoires et les populations

Les conséquences sociales et territoriales de la désindustrialisation se révèlent particulièrement dévastatrices. Entre 1991 et 2010, la France a perdu 900 000 emplois industriels, provoquant un bouleversement profond des sociétés industrielles traditionnelles. Cette hémorragie d’emplois s’accompagne de la disparition de savoir-faire spécifiques, accumulés parfois sur plusieurs générations.

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L’effet domino sur l’écosystème économique local amplifie ces difficultés. Chaque fermeture d’usine entraîne la disparition d’emplois indirects chez les sous-traitants, prestataires de services et dans le commerce de proximité. Les territoires perdent leur attractivité, leurs commerces ferment et leurs services publics se raréfient. Cette spirale descendante touche particulièrement les régions du Nord de la France, historiquement marquées par les délocalisations massives et l’arrêt de l’activité minière.

Au-delà des aspects économiques, nous constatons des répercussions psychologiques importantes. La perte d’identité industrielle génère un sentiment de déclassement et d’abandon qui fragilise le tissu social. Les statistiques de santé publique révèlent une hausse de la détresse psychologique, de l’isolement social et des problèmes de consommation dans les zones les plus touchées.

Les secteurs les plus touchés

Certaines branches industrielles subissent plus durement cette transformation. L’industrie du papier a vu sa production reculer de 6% en 2022 dans la zone euro, victime de la hausse des coûts énergétiques et de la concurrence internationale. La métallurgie enregistre une baisse de 7% tandis que l’industrie chimique accuse un recul de 14% sur la même période.

Le secteur textile illustre parfaitement cette évolution. En vingt ans, cette industrie a réduit de moitié sa production et perdu deux tiers de ses effectifs, ne conservant aujourd’hui que 100 000 emplois. Seuls les segments à haute valeur ajoutée comme les textiles techniques et le luxe maintiennent une activité significative sur le territoire national.

Le concept d’« entreprise sans usine », théorisé au début des années 2000, a accéléré cette désindustrialisation. Cette stratégie consiste à conserver les fonctions de conception et de commercialisation tout en externalisant la production. Si cette approche peut préserver certains emplois qualifiés, elle contribue à vider le territoire de ses capacités productives et de ses savoir-faire manufacturiers.

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Enjeux économiques et concurrentiels actuels

La France fait face à une concurrence internationale déloyale qui complique ses efforts de réindustrialisation. L’Inflation Reduction Act américain subventionne massivement les fabricants de batteries et de véhicules électriques, attirant les investissements industriels outre-Atlantique. Volkswagen a ainsi préféré implanter son usine de batteries aux États-Unis plutôt qu’en Europe, bénéficiant de 10 milliards de dollars d’aides sur la durée de vie du projet.

La Chine pratique une politique similaire avec 13 milliards de dollars de subventions aux énergies renouvelables en 2020, faussant la concurrence sur des secteurs d’avenir. Ces pratiques affaiblissent la position concurrentielle de l’industrie européenne et française sur des marchés en forte croissance.

Paradoxalement, notre industrie souffre simultanément d’une pénurie de main-d’œuvre. Nous recensons actuellement 60 000 emplois industriels vacants, un chiffre qui a triplé entre 2017 et 2023. Cette situation révèle un décalage entre les compétences disponibles et les besoins des entreprises, nécessitant une adaptation de notre système de formation professionnelle.

Stratégies de réindustrialisation

Face à ces défis, plusieurs stratégies de réindustrialisation émergent. La relocalisation constitue un axe prioritaire, visant à rapatrier certaines productions stratégiques sur le territoire national. Cette démarche s’accompagne d’efforts de formation professionnelle pour adapter les compétences aux nouveaux besoins industriels. L’innovation technologique, notamment l’automatisation et l’intelligence artificielle, permet de compenser partiellement les écarts de coûts salariaux.

Le protectionnisme européen gagne du terrain comme instrument de défense face à la concurrence déloyale. Cette approche implique de taxer les importations ne respectant pas nos normes sociales et environnementales, rétablissant une concurrence équitable pour nos entreprises.

L’État français a mis en place un plan d’action ambitieux pour soutenir cette dynamique. Les principales mesures politiques incluent :

  • Le soutien financier à la décarbonation industrielle en co-investissement
  • La facilitation des implantations industrielles par la simplification administrative
  • Le développement de l’industrie verte avec un objectif de 2 millions de véhicules électriques produits annuellement d’ici 2030
  • La relocalisation de 25 médicaments essentiels depuis 2020
  • La création de 401 ouvertures nettes d’usines entre 2022 et mi-2024

Ces initiatives visent à concilier transition écologique et compétitivité économique, positionnant la France sur les marchés d’avenir tout en préservant son tissu industriel. La réussite de cette stratégie dépendra de notre capacité à maintenir un équilibre entre soutien public et efficacité économique, dans un contexte de concurrence internationale exacerbée.

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